Jean Denizot nous livre ici son tout
premier long métrage après 2 ans d'écriture et de réalisation. La
belle vie : adaptation très
personnelle de la célèbre et médiatisée Affaire Fortin
survenue en 1998. Longues errances romancées, premiers amours et
musiques douces : histoire légère pour un lourd fait divers.
Xavier
Fortin, tout juste divorcé de sa femme, décide de « kidnapper »
ses deux fils (dans le film : Sylvain et Pierre), alors sous la
garde de cette dernière. Les deux frères ne sont pas forcés de
partir, ils sont tout à fait consentants. Parler alors d'un
kidnapping n'est pas mince affaire lorsque celui-ci désigne en fait
la conséquence, certes, quelque peu excessive d'un amour fusionnel
entre un père et ses fils. Ils erreront tous les trois à travers
l'Hexagone traînant de maisons déshéritées en tentes à peine
plantées pendant plus de 10 ans. Alors âgés de 6 et 8 ans au
moment des faits, les deux frères grandiront à l'état sauvage,
sans autre éducation que celle inculquée par leur père. Ils
n'iront pas à l'école et commenceront à travailler très tôt :
tantôt vendeurs de fromages sur les marchés tantôt pêcheurs le
long des rivières, ils ne dévoileront jamais leur réelle identité
à leur voisinage sans cesse provisoire. Leur liberté ne sera
qu'apparente ; La France : une prison immense à ciel
ouvert ; L'horizon : d'infinies frontières. Excédés
par leur marginalité, les deux
jeunes ayant grandi, voudront s'émanciper et quitter leur père.
L’aîné sera le premier, le cadet rencontrera lors d'une situation
cocasse au bord de la Loire, une jeune fille à la casquette
révolutionnaire brodée d'une étoile rouge : Gilda, qui
révolutionnera tout autant sa vie. L'histoire commence à leur
adolescence, elle finira brutalement lors d'une décisive
rencontre...
Des
paysages verdoyants à perte de vue, faisant étrangement penser aux
peintures romantiques d'un certain Caspar David Friedrich, des
situations visuelles à l'esprit frais et bucolique à la manière
d'Une partie de campagne devenue classique ; En somme,
une esthétique naturelle, voire naturaliste qui nous révèle de la
part du novice réalisateur un réel travail et une grande
sensibilité. En passant par les hautes montagnes des Pyrénées
Atlantiques pour atterrir le long du plus large fleuve de France,
celui-ci nous fait voyager et rêver à travers l'immensité et la
variété du territoire français.
C'est
sans doute cette qualité d'image peut-être « trop »
imposante qui finira par empiéter sur la part créatrice du film.
Déjà basé sur un fait réel d'une intensité authentique, La
belle vie est dénué de dialogues recherchés et représentatifs
pouvant révéler les personnalités de chacun des personnages. Peu
naturels et parfois ancrés au discours théâtral de leur formation
initiale (notamment Nicolas Bouchaud jouant le père), nous pouvons
croire que leur part d'improvisation et d'intuition quant à leur jeu
est quasiment nulle. De plus, Jean Denizot avoue lui même avoir
choisi le nom de ses personnages par pur hasard ou par simple goût.
Est-ce encore une preuve d'un certain problème d'investissement ou
simplement un choix qui n'aurait, selon lui, aucune conséquence sur
l'impact du film ? Oser supposer que le choix même de
l'exploitation de ce sujet soit survenu à la suite d'une quotidienne
et banale revue de presse n'est pas non plus délirant. Semblant
détaché réellement du détail de l'affaire, il se pourrait que
Denizot n'ait voulu utiliser simplement que le fond du kidnapping et
du road trip, thèmes excitants et prolifiques, pour en
modifier et en personnaliser intimement la forme. Il s'approprie ce
fait divers à tendance dramatique pour en faire une épopée légère
et distancée. Un souffle de perpétuelle légèreté et
d'insouciance traverse la narration d'un film plus romancé que
documenté. Le choix de l'auteur étant de ne sélectionner qu'une
part minime de l'émancipation des jeunes garçons, il délaisse
nombre de péripéties qui pourraient nous sembler, à nous
spectateurs conscients du fait réel, importantes à introduire au
sein du film. Est-ce dommageable ou au contraire intéressant du fait
de la pulsion interrogative que ce manque induit à notre
imagination ?
Le
film au caractère sans doute épuré nous parle néanmoins d'un réel
fait de société : celui du passage à l'âge adulte et de la
question de l'émancipation, avec cet obstacle, ce danger en
plus : le devoir de vivre caché, en marge et en lutte contre cette
société. Un devoir qui, au départ était un choix. Le regret, la
frustration, le désir de tout recommencer teinte finalement ce film
de plein d'idéaux et d'espoir. La belle vie, un premier film
tout de même novateur au nom d'apparence simpliste mais doté d'une
image métaphorique forte et provocatrice : celle de l'ironie.
Leur seule vie heureuse n'était finalement qu'illusion lorsque leurs
esprits encore jeunes voyaient en leur père leur Dieu absolu,
créateur et maître de toutes ces terres parcourues. Pour ces jeunes
hommes à présent adultes et à la recherche d'une certaine
stabilité, La belle vie est aujourd'hui un rêve et non une
réalité.